On a eu beau les observer, avec rigueur ou avec poésie, finalement, on n’y comprendra sans doute jamais rien. Les oiseaux vivent dans leur monde, et le nôtre rempli de supposés ne fait que frôler leur réalité.
Quand le monde d’en bas me paraît trop dur et que l’air y est trop difficilement respirable, rempli d’anxiété et de contrariétés en tout genre, j’emprunte aux oiseaux un peu de leur monde.
On a beau vouloir tout ce qu’on veut, parfois c’est aussi le chaos là-haut.
Mais parfois, l’air est d’une douceur incroyable, un tout petit froissement d’air au gonflage, un pas vers le vide, cette sensation d’être entre deux mondes et d’en choisir un autre, si vaste, si inconnu. Il n’y a qu’à se laisser glisser et à se fondre dans l’invisible. Mes doigts deviennent le bout de mon aile, j’imagine qu’ils seraient aussi délicats que les plumes des oiseaux et qu’ils sauraient tâter l’air, prendre appui dessus, glisser, glisser, glisser. J’honore l’impériale délicatesse du moment avec tout ce que j’ai de douceur pour piloter. Ce n’est pas de la technique, ce n’est plus que palper, sentir, ressentir. Je grignote les mètres l’air de rien et en quelques respirations, je suis reine de mon royaume, au-delà de mon monde, tout m’atteint mais rien ne me blesse. Les maisons sont si petites, les hommes si insignifiants.
Je m’abandonne à la douceur du vent qui touche la peau restée dehors, nez, lèvres, doigts, chevilles et même le mesh de mon legging le long de mes mollets. Cette vulnérabilité qui parfois me fait si peur devient alors si acceptable, je sais bien que parfois il fait bon de ne pas se surprotéger. Pas de doudoune pas de gants, même pas des chaussettes hautes, la douceur m’enveloppe et je m’y réfugie et j’attends. Je laisse l’air me voler mon anxiété, je laisse l’air me rendre ma liberté.
La magie arrive alors, elle a la forme d’un faucon pèlerin. Pas de cri pas de bruit, c’est juste sa présence qui m’interpelle quelque part et il est juste là où je pose mon regard. Il me regarde je le regarde, on se jauge on se juge et alors commence une sorte de dialogue aux allures de danse sereine, pour quelques minutes je joue à être oiseau, je vole là où il vole et il vole là où je vais, ce fragment de temps devient mon éternité, je redeviens air chaud, oiseau, jeune femme poussière pollen et ciel, je me rappelle son regard perçant de roi d’il y a quelques temps, je me rappelle et qu’il y a si longtemps avant, je savais déjà voler.