Je ne sais pas encore très bien si ce sont des falaises du grand Nord, Islande ou pic acérés de Norvège s’il y en a ; ou alors ce serait en Himalaya, oui, on dirait bien quelque part en Himalaya, je ne sais pas trop.
En tout cas clairement c’est le déluge, et encore je crois que le mot est faible, on entend gronder l’eau depuis les alentours, et quand je dis les alentours, c’est assez loin, au moins une heure de marche depuis le début des grondements d’abord assez sourds, d’ailleurs ; on y fait pas trop attention au début, mais plus on avance, moins on peut faire semblant et on finit par comprendre, une fois qu’on réalise, qu’on entendait l’image depuis longtemps avant de la voir.
Je suis assise toute petite devant ce spectacle, j’ai les pieds dans le vide, je suis sur une sorte de promontoire humide. Je suis trempée et mes cheveux trempés n’ont même plus la force de friser tellement ils sont gorgés d’eau. Moi, je n’ai plus de force du tout. Je bredouille une photo. Je suis là hypnotisée et d’abord j’ai très peur. Le bruit m’assomme et je ne trouve plus d’espace en moi où il resterait une miette de silence, juste une miette pour dire de s’y réfugier, même trempée.
Je suis là et je regarde l’eau écraser tout ce qu’elle trouve en tombant, je suis si petite, si petite, et je regarde après les montagnes faire leur job de montagne, c’est-à-dire ne pas bouger, ne pas trembler, juste être là et attendre que ça passe.
Je me demande si cette tempête usera les pics, si ça se verra une fois que ça sera passé, ou si ce sera pour la prochaine, pour la suivante, ou celle d’après.
Je regarde ces immensités démesurées en face de moi et à un moment, je crois que je deviens liquide à force d’être trempée. Alors je me lève et je quitte ce grondement assourdissant auquel j’ai fini par m’habituer juste assez pour le supporter un peu. Je fais attention où je pose le pied, c’est très glissant. Le rocher à droite un peu plat sera un bon appui.
Je reprends la mesure du monde dans lequel j’évolue un pas après l’autre. Il fait très beau sur les sommets, il a même neigé. La cascade finira par se calmer, avec l’hiver ; et cet orage restera là où il est : dans un nuage de lait, entre ses murs de porcelaine.