La photo de la semaine : Les voyages qu’on n’oublie pas
Deux ans après, je suis toujours nostalgique de la Crête.
Il y avait quelque chose dans ce long voyage en solitaire de deux semaines (une à Venise, une en Crête) de différent. Les fameux billets à 5€, ou bien partir seule lorsqu’on a pris l’habitude de voyager à deux, ou l’épuisement de jongler entre 2 boulots.
En réservant depuis mon canapé, j’avais choisi un endroit inaccessible, loin de tout, magnifique comme dans les magazines. Et catastrophe en arrivant : pluie battante, on y voit rien, mais heureusement que je sais lire le grec, au moins, je me suis pas perdue en route dans ma voiture de location avec le voyant liquide de frein en permanence allumé sur des routes de montagne, mer démontée, impossible de s’y rendre, pas de traversée, adieu les sous, la vue de rêve, la solitude, les clapotis, et puis c’était fin septembre, fin de saison. Après une semaine chaotique à Venise, je me suis dit que le séjour allait être long – quelle idée d’aller en Crête, à ce moment je ne voyais que les kilomètres qui me séparaient de toi, j’avais peur de voir des embarcations de migrants chavirer, tout ça pour 5€, bref. Tempête émotionnelle.
C’est la mort dans l’âme que j’ai demandé aux gens où je pourrais dormir, je me retrouve dans une chambre à la limite du miteux, mais grande. Bien loin du cocon que j’imaginais.
Je craque. J’explose mon crédit de téléphone.
Les émotions, ça creuse. Après avoir à peine daigné sortir sur la terrasse pour regarder le coucher de soleil, trouvé ça nul (je m’en veux encore, c’était magnifique, mais je ne l’ai vu que le lendemain…- et le guide disait « ville sans charme et sans plage », de quoi attiser ma frustration), je suis descendue manger sur le petit port de Sfakia.
Dans cette partie de la Crête, on ne se promène pas seule quand on est une jeune fille. Non pas que ça craigne, bien loin de là. Après quelques regards entendus entre locaux et quelques commentaires en crétois (je dis pas grec, c’est plus un dialecte insulaire que du grec du Péloponnèse – ce qui est normal, la Crête a longtemps été indépendante), les serveurs me demandent « Où est ton mari? – Je ne suis pas mariée ! – Mais tu as un copain ? – Oui oui. – Mais il te laisse seule ? – Oui oui. » Inconcevable pour eux.
L’avantage, c’est que toute la famille (Sfakia est une histoire de famille, quelques unes seulement viennent pour la saison, il n’y a quasiment personne l’hiver) est venue papoter avec moi. Le guide disait des habitants de Sfakia qu’ils ont un caractère bien trempé, c’est vrai, des Crétois qu’ils sont machistes, c’est peut être vrai, je ne sais pas, ce que j’ai perçu c’est leur curiosité et leur immense gentillesse. Une jeune fille de mon âge est venue papoter, me demander comment c’est la France, me dire que j’avais de la chance d’être libre de ne pas me marier, d’avoir eu des billets pas chers, je lui ai raconté le métro, ça l’a fascinée. Je lui avais donné mon numéro pour quand elle viendrait, mais avec quelques verres de raki, je crois que j’ai mélangé les chiffres.
Après ces premiers moments chaotiques, la solitude n’a plus été un poids. La Crête a quelque chose de bouleversant, c’est peut être ce dépaysement, les rencontres, cette beauté abrupte, cette histoire mouvementée, et au détour d’une route avec un panorama magnifique, une décharge à ciel ouvert dans laquelle se prélassent des chèvres qui mastiquent du plastique.
Il y a eu aussi ce repas, près de la fameuse grotte où Zeus est né – non je n’y suis pas allée, j’ai fui en voyant des faux costumes traditionnels, des locations d’ânes et des cars. Au diable les Incontournables. 5 malheureux euros (encore ce 5€!) pour un festin, fleurs de courgettes farcies, sauces au yaourt, ragoût maison, une vieille d’un âge indéterminé, avec de la barbe, un poil bougonne mais qui est allée me cueillir des fruits de son jardin en rab, et m’a proposé de faire la sieste (coutume nationale – quand je voyage, j’essaye de les respecter le plus possible!) avec elle au bord de la route, en face des vieux installés à l’ombre sur leurs chaises. C’était quelque chose.
Pour ce voyage en Crête, j’ai fui les endroits touristiques, mais même quand je m’y arrêtais (les Minoens sont des génies, je voulais voir ça), les Crétois n’ont jamais manqué de gentillesse et de sagesse : « Quand Zeus est né chez toi, c’est un honneur, tu as tout pour être heureux, et c’est un devoir de partager ce bonheur ». La Crête et le sourire des Crétois m’a pour un temps réconciliée avec les Hommes.
Je n’ai quasiment pas fait de photos, et celles que j’ai faites, je les trouve moches, sauf quelques unes dont celle-ci, rescapée de mon jugement, je m’en veux.
Je ne sais pas si je retournerai en Crête. Depuis ces expériences, je ne veux plus être malgré moi une touriste lambda irrespectueuse, je ne veux plus qu’on me propose autre chose que du café local (j’ai oublié de serrer les dents la première fois, ça ne se reproduira pas!), j’ai envie de partager et de pouvoir le faire. Mais la Crête a besoin de tourisme, ça la fait vivre, comme me l’a dit cette vieille et son festin.
J’aimerais que les Hommes soient raisonnés à défaut d’être raisonnables, qu’ils quittent leur individualité exacerbée en voyage pour s’ouvrir au monde, qu’ils arrêtent de consommer et de paraître pour simplement être.
Et pourtant, deux ans après, une semaine là-bas seulement, au point d’hésiter sur le tarmac à retrouver tout ce qu’on a laissé, ça laisse un goût prononcé de Reviens.
⊕ infos : Sony A5000 + E 16-50, 50mm, ƒ/14, ISO 2000, 1/2500, -1ev