Entrer dans ce paysage comme on entre dans la mer, sans certitude de ce qu’on vient y faire, frissonner, laisser l’eau nous mordre les pieds les mollets les cuisses le bassin poser les mains à plat sur la surface quelque temps, quantifier l’instant n’a alors plus d’importance. Inspirer plonger comme on se jetterait à corps perdu dans le vide violence nager jusqu’à ne plus avoir pied être immergée entièrement se laisser porter suspendue entre les minutes ; et surtout ne plus rien sentir de l’air, les yeux plissés par les innombrables reflets du soleil levant sur les ondes de l’eau, des gouttes débordant du visage à chaque brasse qui m’éloigne de la terre. Plonger encore plus loin encore plus profond pour ne plus rien entendre des cris de son corps pour n’avoir plus qu’à écouter les battements de son coeur et quand on peut – quand on se le permet peut-être ? – violemment maladroitement doucement, alors que les tons oranges allument le paysage, goûter une gorgée d’air, forcément l’avaler de travers, la recracher comme on boirait la tasse, hurler à plein poumons en silence et rageusement recommencer encore encore encore jusqu’à pouvoir simplement trouver un souffle.
Ouvrir les yeux, le paysage est flou, le paysage tourne un peu puis beaucoup d’un coup mais rien n’a bougé. Tâtonner dans sa conscience et se dire qu’il y a quelque chose de rassurant dans l’immobilité passive et puissante des montagnes. Fermer encore un peu les yeux, se noyer encore toussoter de l’eau salée encore un peu ; et entendre le bruit, la lumière vitreuse des vaguelettes m’appeler à la surface en regardant loin derrière les sommets.
Une étoile rouge file sur la route au loin.
La lumière est si douce et fugace.