Ça clapote doucement et parfois on a l’impression d’aller nulle part
Mais les apparences sont trompeuses et c’est lorsqu’on n’est plus focalisé sur le paysage mouvant, qu’on ne perçoit plus notre avancement qu’on dérive et c’est très normal ça fait même partie du jeu et l’idée globale est d’accepter et de faire avec ; du coup c’est juste quand on se laisse aller dans le bercement du bois flottant sur l’eau sans pouvoir rien y faire qu’on se retrouve libres d’aller ailleurs et atteindre précisément notre destination. Je dis dans, c’est vraiment dans, ça fait quelque chose d’assez hypnotisant et on se sent très vite très loin, bien loin de nos frontières, bien loin de nous et la destination sans mouvement a tout l’air d’une absence de soi ou d’un rencard dans l’ailleurs c’est un peu flou et c’est très confortable comme ça. C’est sans doute ça, la solitude, douce fuite vers nos retrouvailles bercée par plus grand que nous, l’eau l’air et nous salés saturés juste capables d’ajuster avec ce qu’on a appris.
Ce n’est pas comme se quitter vraiment — peut-on seulement ? — c’est plutôt se dire, je prends congé quelque temps parce que j’ai besoin d’être bercée, de me sentir entourée et apaisée dans ma solitude ; parce que quoiqu’on fasse, la plus grosse illusion est d’ignorer que nous seront toujours seuls, autant s’apprivoiser comme on peut — et ça l’eau qui clapote sur le bateau le fait très bien, le soleil éblouit le sel brûle les yeux et alors on part nulle part très proche de soi aux frontières de rivages-mirages qui ne font que nous échapper.
Le vent se lève et les bourrasques gonflent les voiles. Le bercement s’achève, on revient à soi et ceux qui savent nous guident et nous disent quoi faire, Prends la voile et assieds-toi dedans tu sentiras quand ce sera bon, et alors tu pourras te réorganiser, une fois tout calé pas besoin de fermer les noeuds vaut mieux pouvoir défaire en cas d’urgence ou laisser se défaire tout seul, après Filha c’est comme tu veux viens te poser là devant, tu te laisseras encore couler-flotter c’est pour ça qu’on est là entre les mondes, mais ne pars pas trop loin même si tu ne sais toujours pas à où tu appartiens, j’aurai tôt ou tard besoin de toi pour virer de bord une autre fois.