Pensées du jour, image de la veille
— Ce matin, levée tôt, je lis Sempé « Quelques campagnards », je m’émerveille devant la douceur et la juste impertinence de ses dessins. Pour chacun d’eux, c’est une conversation que j’ai eue avec des amis, ou bien des situations que je connais très bien. Je songe que certains ont décidément un quelque chose d’intemporel, une justesse qui ne se fane pas avec le temps. S’il ne faut pas être voyant et d’une grande intelligence, pour faire ces dessins… C’est un peu comme se moquer gentiment d’un ami, pour lui rappeler presque tendrement qu’il va dans le mur. Et le faire avec une précision qui n’aurait d’égale qu’une analyse rigoureuse de la situation, mais comme enrobée d’ouate. Parce qu’il n’y a pas besoin de hurler pour dire les choses. D’ailleurs, plus on crie fort, moins on entend.
Hier j’ai fait cette photo, que j’aime vraiment beaucoup : un vol d’oiseaux, le soleil qui perce les nuages à neige, la montagne noir charbon. C’était un beau moment, d’ailleurs, je n’ai pas eu tout de suite le réflexe de faire la photo. Je restais là, contemplative pieds dans la neige, à écouter les crissements des pas et le souffle saccadé de mon chien, qui découvre à grandes foulées l’ivresse des grands espaces blancs. J’ai réagi au dernier moment, en pensant que toutes ces choses éphémères étaient l’essence même de la photo : voler un instant à la course du temps, emporter en pixels un moment qui ne sera et qui la minute d’après ne sera plus. Les oiseaux, la neige, le soleil. Nature évanescente. Et le mot fond dans la bouche, comme de la glace réchauffée.