Ce qui compte c’est le trajet
Depuis cette longue marche de 15 jours d’il y a quelques années, j’ai quelque chose de spécial avec les ermitages.
Au fond, cheminer toute la journée, arriver à un état d’absence du monde, je me dis que c’est un peu comme être ermite. Pour arriver à cet état d’esprit où les soucis ne sont plus des problèmes, certains domptent la douleur en marchant, d’autres en laissant glisser le temps.
En arrivant à cet ermitage, il s’est passé quelque chose. Il n’a fallu qu’une petite vingtaine de minutes de marche, un tout petit peu de pente, à peine un poil de vide pour mettre à l’épreuve mon vertige, mais cette petite chapelle était bien plus simple à atteindre que ce qu’on imagine, vu d’en bas. Donc, ce n’était pas la marche.
Et pourtant. Canigó, fier, le Conflent, toute la Cerdagne et le Fenouillèdes, à perte de vue, au dos, la Méditerranée.
Cette chapelle, modeste, dénuée de toute fioriture, mais débordant de quelque chose en plus. Je ne pense pas adhérer à une religion plus qu’à une autre, mais un lieu chargé de spiritualité me parle. Impossible à expliquer, c’est plutôt un ressenti. Certains lieux apaisent, nous font nous sentir juste bien comme il faut, au moment où on en a besoin. Sans se chercher, on se retrouve.
Il y avait bien trop de croix, de Christ en souffrance peints, cloutés, pendus, tout ce qu’on veut, mais il y avait beaucoup de fleurs – des fausses, mais ce n’est pas important. Une paire de vieilles chaussures faisant l’office de vase, une liste de courses avec Citron Viande Légumes Jus de Pamplemousse, une plaque pour Annie qui aimait tant cet endroit, un stylo 4 couleurs, des bougies, encore des fleurs, deux autels, un pour St Martin – un pour Marie, des bancs qui craquent.
Des cahiers avec des mots plein de reconnaissance pour des épreuves insurmontables que l’on finit par surmonter, des tragédies qui deviennent presque douces dans ce lieu, ces histoires d’inconnus qui n’en sont plus, une fois qu’ils ont ouvert leur cœur et qu’on y a laissé ce qu’on a sur le sien.
J’explore l’ermitage, je m’assieds devant la petite fenêtre qui donne sur les Pyrénées, et je songe à rester ici. Il y a un four à pain, une cheminée, une table, un balai, je me demande où est l’eau, je n’en ai pas vu en montant. J’ai peur des orages, surtout en montagne, mais ici, par cette fenêtre, je regarderais bien la foudre tomber. Je regarderais passer le temps, peut-être même que j’arriverais à me donner du temps. N’être rien que boire, manger, dormir, marcher, et mille et une vues de l’esprit qui n’arrivent que quand on est apaisé. Réciter spontanément des poèmes, les premiers qu’on a appris, des comptines de la maternelle,avoir une chanson en tête, réfléchir sur l’agencement des choses, le puzzle du monde sans que ça soit douloureux.
Ne plus se demander pourquoi mais comment.
Savoir qu’au fond, les casse-tête n’en sont pas, tout dépend du point de vue, et mettre en pratique le fait que « si un problème n’a pas de solution, ce n’est pas un problème ».
Je pense à ceux que j’aime, qui sont prisonniers de leur souffrance et qui ne trouvent pas ces lieux, par la pensée je leur envoie et je suis infiniment triste de ne rien pouvoir faire d’autre que de penser à eux.
infos : Sony A7ii + Samyang FE35mm, 35mm, f/9, ISO 200, 1/320s.