Il met le nez dehors comme ça,
d’une manière un peu entre-deux, légèrement hâtée, tranquillement pressée pour aller s’abîmer dans un endroit lointain qui n’appartient qu’à lui.
Le bruit des tintements a dû le pousser à sortir de sa torpeur, il a encore l’air d’errer un peu à cheval entre les mondes, il est là sur le pas de sa porte mais son regard se perd dès que je le dépasse, il ne me regarde pas, il ne fixe pas les brebis, il regarde peut-être simplement la laine onduler au rythme des cloches. Peut-être qu’il regarde vers le passé ? Pourtant, on est bien là, tout de suite, maintenant, il a plu, ça fait 3 jours qu’on marche, on a laissé les panoramas les vallons les villes les voitures les camions le patou semble enfin d’humeur à coopérer le troupeau aussi du coup ouf on est trempés comme des soupes et on s’enfonce dans le Biros, demain les brebis seront là-haut.
J’hésite, je ne voulais pas de photo-cliché.
Les brebis sont juste derrière moi et pas question de ralentir le troupeau, maintenant qu’on a un rythme agréable, je me retourne, je déclenche. Tant pis.
Tant pis. J’aimerais décrire mieux cette non-rencontre, mais quelque chose ne cesse de m’échapper.
Cette image a un goût étrange. Je me rassure en me retournant plusieurs fois, je ne l’ai pas dérangé dans son sommeil éveillé. Il n’a pas bougé. J’irai peut-être lui donner la photo, quand je repasserai.
Le troupeau s’étire et la montagne est proche.
Je me perds dans la contemplation des nuages qui s’effilochent au son des cloches j’avance pour ne pas penser à l’abîme — le mien peut-être ? — que j’ai lu en passant devant lui.