La photo de la semaine : Jockey en ville
Rendez-vous n°7 | Hippodrome de la Cépière
Parmi toutes les choses dont j’ai hérité de mes grands-parents, et plus particulièrement de mon Papi, il y a l’amour des chevaux. Les matinées à jouer et Tiercé (j’avais un sens très aigu du bon cheval : pour me faire plaisir, Papi jouait celui dont j’aimais le plus le nom…), aller déposer le bulletin au café, attendre le résultat des courses, regarder les chevaux courir à la télé. Je me rappelle les foulées immenses des trotteurs et les ralentis où on voit tous les muscles s’étirer, se contracter, s’étirer à nouveau.
Dans ma liste de métiers à faire, entre vétérinaire archéologue éboueur et je ne sais quelle autre fantaisie enfantine, il y avait jockey. Je ne sais pas combien de fois j’ai lu Black. Je me suis donc mise au cheval, pendant de nombreuses années, mais finalement, j’ai toujours plus aimé le dressage et la délicatesse que la vitesse et les coups de cravache. Puis, études oblige, le drame, arrêter le cheval.
Par « hasard », j’habitais près de l’hippodrome de Toulouse, quand j’étais étudiante. Un lundi matin, je me suis décidée à aller à l’hippodrome. C’était quasi-désert, mais ouvert. J’avais trop besoin de sentir l’odeur du cheval. J’avais emporté mon appareil photo, et finalement, en y pensant après toutes ces années, c’était mon premier reportage. J’y ai rencontré un éleveur-palefrenier (pas les moyens d’en payer), qui m’a vue traîner près des boxes et qui m’a dit « Attention, certains sont vraiment méchants ». Je ne sais pas trop s’il parlait des chevaux ou de ses pairs.
Il m’a raconté la Cépière, qu’il a connue au milieu des champs, avec une vue superbe sur les Pyrénées, et que c’était un régal, de s’entraîner sur la piste au petit matin. Les cheminées d’usine ont poussé, les routes, puis les immeubles, les hôpitaux, cliniques, puis la rocade, puis les barres de HLM comme des champignons après la pluie.
Aujourd’hui, c’est vrai que la Cépière est un endroit un peu unique : dans tout ce béton concentré, un peu d’herbe, un peu d’espace pour les chevaux. Mais beaucoup moins qu’avant, ça pose des problèmes pour les éleveurs. Il y a beaucoup de boxes vides, c’est un gouffre financier.
En faisant le tour des boxes, j’ai vu des bouches déchirées, des jambes enduites d’argile, des yeux crevés, des chevaux tremblants de nervosité (nourris quasi exclusivement à l’avoine…), ça m’a donné envie de vomir. Bien loin de ce qu’on voit à la télé, bien que ce ne soit pas toujours le cas. Quand j’en ai parlé à l’éleveur, il m’a montré des boxes vides en disant « Celui-là, il s’est effondré pendant la courses, on a dû le piquer. Il y a tellement d’éleveurs qui ne respectent pas leurs chevaux… Ils ne respectent pas les jours de pause, ils se contentent de poser de l’argile (pour détendre les muscles) sur les jambes, des fois, à peine s’ils le font, leur donnent avoine/orge en permanence… » Faut voir les chevaux que ça fait, si on peut encore appeler ça des chevaux. Les accidents sont nombreux, pour les chevaux, pour les jockeys, comme pour les lads (palefreniers). On a parlé de l’appât du gain, du monde très difficile des courses. Des propriétaires qui ne connaissent rien aux chevaux, des palefreniers et jockeys qui acceptent de maltraiter les chevaux parce qu’il n’y a pas de travail partout. La réalité est bien loin de mes motivations, l’amour des chevaux et le plaisir de les voir courir. Je ne sais pas à quoi je m’attendais, mais ça m’a bouleversée.
J’ai finalement passé la matinée là-bas. En partant, j’ai vu un peu de l’entraînement : les jockeys trapus aux jambes arquées enfourcher leurs montures, incapables de marcher simplement, tellement nerveuses qu’elles se sont emballées devant moi.
La photo montre l’un deux, en train d’allumer une cigarette. En arrière-plan, la sortie de rocade, les immeubles récents de Toulouse, et une cheminée d’usine désaffectée.
Par la suite, j’ai eu l’occasion de monter un trotteur sauvé de l’abattoir (il s’était cassé une jambe et le proprio n’avait pas le temps de le regarder guérir, et de l’entretenir) en randonnée. J’ai dit plus haut que je préfère la délicatesse à la vitesse, mais jamais je n’oublierai l’euphorie des longues foulées, la puissance du trot et la vitesse dans la forêt. Arrêter à la voix le cheval sans lui toucher la bouche a été compliqué, mais c’était comme chanter une berceuse, à vitesse folle.
⊕ infos : FUJIFILM FinePix S2950