Cette semaine : j’ai détesté Napoli.
Ah le monde merveilleux d’Instagram… Des photos de vacances plus filtrées les unes que les autres, des pastèques et des taches de rousseur tout l’été, parce que le bikini, ça donne tout de suite un genre…, puis les mailles d’automne et les bonnets l’hiver… Bref, ce n’est pas de ça que je veux parler, mais des bons côtés d’Instagram : les découvertes.
En ce moment, je vois passer quelques photos de Naples ici, et j’arrive à trouver ça beau.
Ça me fait du bien, parce que rarement (jamais) je n’ai autant détesté un voyage. Quand on a décidé d’y aller, c’était parce que Renaud a une passion-volcan, et parce que Capri, c’est fini…
Finalement on a fait ni Capri – c’était cuit : la mer était déchaînée, on s’est rabattus sur Ischia, pas mal en somme – les thermes étaient un poil glauques, mais en plein hiver et par temps de pluie c’est une bonne option ; ni le Vésuve. Je ne sais pas si c’est le fait qu’on n’a pas trouvé ce qu’on attendait, mais Naples m’a écoeurée.
Au début, c’était marrant, je veux dire, c’était cliché : accidents et incidents de voiture dès la sortie de l’aéroport, rouler à fond en klaxonnant, couper une deux voies pour sortir et essayer de se faufiler sur les 4 voies (deux voies pour la sortie, deux ou trois pour la voie rapide) ; se dire qu’après tout, c’est la Méditerranée qui veut ça (après Marseille et Nice… je ne juge pas hein, mais la conduite c’est sport, et j’ai la mauvaise tendance d’être systématiquement malade en voiture).
On logeait dans les bas fonds de la ville. Naples pas cher, c’était illusoire pour nouvel an, on s’est retrouvés chez un architecte fort sympathique et terriblement chauvin (en même temps, les Napolitains…) dans un immeuble avec une grille à passer, un vigile à l’air mauvais, une porte fermée à clef en bas et des sécurités partout.
Napoli, c’était trop.
Trop tout. Trop de dépaysement, en même temps, notre hôte et son ami nous avaient prévenus à peine les pieds posés sur le sol : « Ah, vous êtes de Marseille? » -merci Renaud pour le demi-mensonge, non, je ne suis pas de Marseille et soutenir mordicus l’OM ne fait pas de toi un vrai-vrai marseillais…– « Alors vous allez aimer Napoli. Parce que les gens du Nord, ils aiment pas, ils comprennent pas Napoli. Mais ceux de Marseille, de Nice, oui, c’est comme ici. »
Je n’ai pas beaucoup aimé Marseille, Nice, je ne l’ai pas assez vue, mais j’avoue que c’était pas le coup de foudre.
Quand on a décidé de sortir de notre banlieue et d’explorer les environs, après s’être étranglés avec un ristretto maison (on peut vraiment pas faire autrement, la première fois qu’on en boit) on a eu envie de voir la mer. Mais pour trouver un bout d’horizon bleu, on a du longer des quais en travaux, des maisons en ruines, des policiers avec un air suspicieux, le port de marchandises. Je suis du genre sensible, aux paysages tant qu’aux gens, ces immenses façades décrépies, les immenses bâches qui coupent l’horizon m’ont interrogée. Et puis, j’aime marcher pour aller à la rencontre de la ville, les choses défilent lentement (pas comme ce tramway qui manquait à chaque virage de se coucher, tellement il allait vite).
On s’est dit, on va à Naples pour les richesses archéologiques, pour les palais des empereurs romains, pour tout ce passé qui nous fascine, pour l’Italie quoi, et on est venus dans une réalité pour laquelle je n’étais pas prête. Les bruits, incessants, insoutenables, les odeurs, je n’avais jamais connu ça. J’ai imaginé que c’était comme ça en Inde ou en Afrique, loin, la vraie vie sans les belles rues pavées, la misère véritable, mais on était à Napoli.
Les pizze étaient pourtant délicieuses, la mozarella divine, le vin bon. La Vierge de 2 mètres qui nous tenait compagnie à table un poil stressante, son sourire figé plein de compassion, avec à ses pieds la photo grand format d’un type souriant, avec des couronnes de fleurs en plastique et des guirlandes sur le cadre, faut dire que le resto était ouvert mais fermé à clé, et le patron surveillait nerveusement la rue.
En ethno, on nous apprend à dépasser notre regard, à lutter contre les évidences, à chercher plus loin que ce qu’on voit. On nous apprend à s’informer, à croiser les sources, à avoir du recul.
Mais assise à table avec la vierge, je n’ai pas réussi. Tout nous rattrape. Les on-dit de mafia, qui tout d’un coup ne sont plus du tout des on-dit, le type en photo s’est fait descendre ici même, là où je mange mes pasta, et vu la nervosité du patron, le deuil n’est pas fait. Les coups de feu, tard dans la nuit, qu’on prend pour des pétards, et les titres des journaux du lendemain, la Camorra a abattu un type dans le bar du coin de la rue. Ça sent le sang et la trouille.
C’est ce que je viens chercher, en voyage, la vraie vie, des vrais gens, avec l’illusion que le tourisme n’efface pas trop les réalités. Mais quand les réalités sont à ce point brûlantes, il faut savoir faire avec, je n’ai pas su, pu, ou alors, la naïve rêveuse que je suis a pensé qu’on était encore à l’époque romaine… Quelle idiote. Ceci dit, il devait bien aussi y avoir de la misère humaine, à cette époque.
Notre hôte nous a expliqué le travail remarquable des autorités, en ce qui concerne la mafia. Qu’enfin la police n’était plus corrompue, que la justice pouvait commencer à faire son travail. Il en aura fallu, du sang versé. Que c’est pour ça que l’appartement pas cher pour touristes est en pleine banlieue, au milieu des rues qui débordent de poubelles, loin de la vue sur la baie, du port de plaisance, des châteaux et des places de rêve, au terminus du métro. J’admire son engagement, il ressemble à un philosophe ou un médecin du XIXème siècle, avec ses moustaches et son port de tête. Il aime sa ville passionnément, avec une ardeur que je n’ai jamais vue ailleurs ni chez personne d’autre. L’amour aveugle des Napolitains pour leur ville n’est pas un mythe.
Tous les terminus sont les mêmes, finalement. Ça me révolte, ça me rend triste, je n’y peux absolument rien.
Je pourrais raconter encore tellement de choses sur notre Napoli, sur ce nouvel an – hissé définitivement au rang des pires de toute ma courte vie -, sur le regard des gens dans la rue, sur les feux d’artifice et moi dans les toilettes comme un chien apeuré, boules quiès et bonnet et capuche sur la tête, sur les casques des motos, sur les clopes dans la rue, sur Pompei et Ercolano, sur le musée archéologique, sur Ischia et sur le vendeur de billets pour touristes qui a volé la mafia le lendemain de notre escapade sur l’île, et sur la vue sur la baie, sur le café.
Étrangement, je n’ai jamais eu peur de me faire voler mon sac, comme tous ces gens inquiets sur les forums de voyage. Pourtant, j’ai eu vraiment peur, à Naples, tout le temps, même sous terre dans les Catacombe. Peur de ces rues désertes, de l’anxiété des gens des terminus du métro, des fantômes de la ville, des vacarmes. J’aurais voulu ne pas voir les stèles dans la rue, « la Camorra a tué ici une fillette de 5 ans, ne l’oublions pas ».
Quand je lis les articles ou quand je regarde les photos, d’autres qui ont aimé Napoli, au fond, je suis contente. Peut-être que ce n’est pas si pire, et puis, c’est vraiment important que le tourisme aide les autorités à lutter, autant qu’ils peuvent, contre les noirceurs de la mafia.
Je n’ai même pas fait une seule photo de ce Napoli que je vous dépeins. Sur le moment, ce n’était pas possible. Je me suis entêtée à photographier l’aujourd’hui pathétique d’un mirage d’hier.
Presque chaque jour, je regarde notre porte-bonheur napolitain, un vrai de vrai offert par nos hôtes, un piment en terre cuite, surmonté d’un masque noir, accroché près de l’entrée.
Il surveille la maison, on ne plaisante pas avec le destin.
Quelques sites / articles / références
Le vécu du quartier : un reportage sur la Camorra signé Carlo Puca
Les bruits : écouter Napoli, par Olivier Féraud
Ma peur panique : une étude sur les pétards et feux d’artifices de Napoli, par Olivier Féraud
La réconciliation : « i colori di Napoli », par Audrey Meffray, photographe documentaire
Sinon, pour parler un peu de la photo – c’est l’idée du projet 52 – en fait, je n’ai vraiment fait aucune photo de Napoli – mes souvenirs de vacances photographiques se cantonnent à des sites archéologiques (oui on a été à Pompeï, je tenais à y aller parce qu’il y a bien longtemps, ma grand-tante institutrice m’avait donné ses supports pédagogiques d’histoire et « leçons de choses », et la photo de Pompeï m’avait plue. Et en bons touristes modèles, à Ercolano, plus modeste, mais impressionnante), et à l’intérieur du musée archéologique de Naples.
Soit des cailloux et des yeux en marbre.
Ça ne m’était encore jamais arrivé, de ne rien photographier de vivant en vacances… Sauf, cette unique photo prise depuis le site archéologique d’Ercolano. Il faisait très froid, les pétards de nouvel an avaient déjà commencé à faire du bruit dès midi (pour mon plus grand malheur, ça n’a fini que le 2 à midi..).
Il n’y a eu qu’une petite minute de belle lumière. Je regardais la mer, et en me retournant, j’ai vu cette image : la ville ancienne dévastée par l’éruption volcanique – les nuées ardentes plus précisément (d’ailleurs, il y a les moulages des corps des victimes dans les hangars à bateaux, même si ce ne sont plus « que » des enveloppes de cendres remplies par du plâtre, je ne peux pas oublier les expressions d’intense souffrance sur leurs visages) – et la ville nouvelle, où il n’y a plus de mairie, les autorités n’ayant trouvé que cette solution pour freiner la main mise de la Camorra. En tout arrière-plan, il Vesuvio, certo.
⊕ infos : Sony A5000 + Sony E PZ 16-50mm, 34mm, ƒ/9, ISO 100, 1/60 / pas d'edit.