Cette semaine : héritage, rencontre, hommages
Rendez-vous n°11 | Héritage
Il y a des nuits de pleine lune pendant lesquelles les cauchemars prennent des formes délirantes. Au réveil, je ne cherche pas de sens, parfois, je préfère me dire qu’il n’y en a pas.
Aujourd’hui, nous sommes montés à Cagire. C’est fou comme les histoires semblent se répéter. J’avais l’occasion, et jusqu’avant d’arriver aux fameux 1912m., plein de dénivelé, de kilomètres, je ne savais pas si on allait y arriver.
Mon sac à dos pèse, mais dans le fond, les 3 litres 1/2 ne sont rien par rapport aux souvenirs, aux missions qu’on se donne, aux hommages, aux héritages. Je m’étais dit, tu montes à Cagire, c’est l’occasion de faire la paix. C’est un pèlerinage familial, c’est sacré, c’est ancré quelque part au plus profond de moi, c’est presque malgré moi.
Dans ma tête, je me voyais verser une larme à la croix, pour ce temps passé, pour la souffrance de la montée dans le pire des cas, pour ces êtres aimés qui nous manquent, pour les projets tant rêvés des autres que l’on sait envolés. Et puis non.
À peine les premiers mètres dans les pieds, Transistor égaye avec ses histoires, du haut de ses 80 piges, il saute partout, parle sans arrêt, même en montée, malgré ses pieds tout arthrosés, nous confie qu’il a presque abandonné sa femme à la maison ce matin. Cette montée de Cagire, c’est sa bouffée d’air, et la mienne. Il fait le polisson, on rigole, il nous coule des regards surprotecteurs, voyons si les jeunes suivent. Il appelle Goustaf Marinette, à cause de la jupe, ou on ne sait pas trop, on ricane puis, comme il est sourd et qu’on lui a déjà dit mille fois que la « jupe » du chien-qui-n’est-pas-mignonne (enfin si mais…) cache à merveille ses roubignolles, on glousse et on finit par éclater de rire à chaque fois qu’il dit « Elle est intelligente, hé ». Il m’appelle aussi Marinette, je ricane.
Et puis, la phrase fatidique « On va pas prendre ce chemin, là, par la gauche, ça rallonge vachement. On va couper là, on ira directement vers Cagire, les crêtes, là-haut, ça rattrape. Parce que le Pas de l’Âne, Pique Poque, c’est pas du tout Cagire, ça s’éloigne ! »
C’est brutal, ça tombe comme ça, un couperet, ça fait comme du déjà-vu, des histoires qui ne sont pas les miennes, une fois l’émotion et la surprise passée, l’évidence : c’est ça mon héritage, ma réconciliation, c’est pour ça que je suis là, là.
C’est pour ne pas passer par le sentier balisé, c’est pour couper tout droit dans la pente parce que ça raccourcit, c’est pour en rire. La montée n’a pas été trop pénible, j’avais le cœur bien plus léger, et à la croix, aucune trace de larme, rien, juste une pensée émue pour Lucette, Mamé, les ancêtres, la famille, la maison d’Aspet, les souvenirs des autres qui sont presque les miens, et Grand-Père, dont je ne connaîtrais rien de plus, mais avec lequel je suis maintenant en paix. On trinque au Muscat une fois assis au pied de la croix, Transistor en a porté au moins un petit litre – « ça fait sirop de pêche, coupé à l’eau ».
Mes montagnes sont magnifiques.
Merci, Transistor.
⊕ infos : Sony A7ii + FE 28-70, 28mm, ƒ/9, ISO 100, 1/320