J’étais d’humeur à aller me coucher en boule au chaud dans ma doudoune au pied des montagnes, avec une vue dégagée pour quand j’ouvrirai les yeux – j’aime les siestes pour imprimer ces moments de réveil très profondément dans ma rétine, de toute façon ça éblouit toujours, d’émerger d’une sieste.
J’aime ça, l’éblouissement, ça fait mal, un peu-beaucoup des fois, mais c’est beau, beaucoup.
L’idée c’est je m’endors et je laisse comme ça mon corps traîner immobile quelque part, si j’ai de la chance mon âme ira vagabonder pendant ce temps, et puis elle reviendra et je me réveillerai, bien entendu j’aurai tout oublié, je traverse en ce moment l’existence avec l’amnésie de mes rêves. C’est moyennement joyeux, on est d’accord – c’est comme ça. Et après, paf, je me réveille dans une douceur toute relative. Je crois que je sieste pour être sûre que cet émerveillement du réveil existe quoiqu’il arrive, comme pour réaliser une collection de moments et de sensations de vide serein, dans lesquels quand j’ouvre les yeux Tout est tellement beau Rien n’est plus vraiment grave Rien n’est plus vraiment triste, c’est juste beau et c’est juste là, pour que mes yeux voient cette beauté simple sans fard ardente diaphane peut-être jusqu’à en avoir un peu mal, cligner des paupières fermer à nouveau les yeux soupirer ou bailler et après ouvrir à nouveau les yeux, et être encore happée par le paysage, et renouveler ça jusqu’à ne plus avoir besoin regarder par intermittences et être prête a plonger entièrement dans le paysage sa lumière adoucie – le tout en se relevant assez maladroitement, le corps encore engourdi de sommeil et en se rattrapant au dernier moment pour ne pas s’étirer dans une bouse. Des fois je me laisse partir dans le sommeil sans chercher à siester, comme ça crânement en pleine journée, en pleine activité, juste pour multiplier ce moment de réveil penser à rien et trouver la vie belle.
C’est la saison des genoux dans l’herbe à la recherche de champignons et Nico ne fait pas exception. Il a le look avec sa capuche de sweat délavé, pantalon et longs cheveux assortis presque blancs, le tout lui fait une dégaine à la mode du pays. Il n’a pas d’âge mais il a quelque chose qui vient de bien loin en lui, j’aime ressentir ça.
Au début je soupire de devoir partager ma montagne avec lui, je le vois sur le versant en face chercher avec application, se relever continuer et puis comme je vois qu’il n’a pas l’air de vouloir bouger de son coin, je reprends mon activité à savoir me blottir contre les cailloux, là où il y a encore un peu de chaleur, j’enlève une bouteille de mon sac parce que ça ne fait pas un oreiller trop confortable pas du tout même c’est un art de se caler autant douillettement que possible quelque part dehors.
Nico cherche des champignons et il n’y a personne, les chiens jouent et il souffle un petit vent pas trop doux, mais ça fera. Je me laisse couler, de toute façon je suis bien trop épuisée pour faire autre chose que de me laisser couler, là c’est pas couler en douceur comme au yoga quand on plonge en méditation, là c’est plutôt du genre pavé qui fait un gros plouf dans la mare vaseuse, pas de chichis entre nous, au lit et basta cosi.
J’ai dormi un moment et le temps défile. Le paysage habille les montagnes de nuages, demain il fera pourri mais c’est que demain et là c’est aujourd’hui et je me réveille sur des avalanches de nuages, de lumière, de jeux entre les masses ouatées et les masses cailloux, c’est magnifique je fais des photos ça fait longtemps que je ne m’étais pas sentie juste bien comme ça, seule, j’écoute un podcast sublime de poésie et après je mets même de la musique, c’est la première fois que je fais ça. Je suis sinon plutôt du genre Le silence des montagnes se suffit à lui-même parce que précisément, il n’y a pas de silence, simplement plus d’espace pour écouter profondément et c’est ça que j’aime, et c’est peut-être ce que je sais faire de mieux.
Mes chiens galopent dans la lumière leur joie est contagieuse. Quand je fredonne les chansons que je connais, les chevaux voisins pivotent les oreilles et ferment délicatement les yeux, ce n’est peut-être pas lié mais je me dis, Ils doivent aimer la musique.
Je fredonne pas fort parce que Nico se met en marche il arrive vers moi, ça m’angoisse un peu, et puis il bifurque au dernier moment pour redescendre.
J’ai envie de remettre toutes les chansons encore une fois, avec toute cette délicieuse pause de depuis ma vie il est nuit presque.
Nico n’est toujours pas parti, il est posé sur un caillou.
Salut je fais en passant. C’est quand même la moindre des courtoisies quand on a partagé la même montagne une après-midi entière.
Salut il fait, tu as fait de belles photos il me dit ?
Je ne sais pas mais j’ai aimé les faire c’est ça qui compte je pense.
J’étais aux champignons, j’en ai un peu trouvé mais en fait, j’aime vraiment ce lieu, il est magifique. Magnifique je veux dire.
Magifque, C’est exactement ça je souris. Magique et magnifique.
Tu as vu ces lumières à un moment ?
Oui je regardais les nuages ça me fascine.
Ah tu regardes les nuages toi. Moi on m’appelle Nico-Caillou, parce que j’ai tout le temps les yeux collés aux cailloux. Il y des pépites partout ici ! Comment tu t’appelles ?
Alice
Alice il sourit — Je ne sais pas pourquoi ça fait souvent sourire les gens — Alors tu seras Alice-Nuage. Tu es photographe ambulante ?
Oui enfin en ce moment je travaille à une thèse. Toi tu fais quoi ?
Du Landart. Sinon je dessine. Mais bon c’est dur, hein. Je fais des trucs ça me prends des années, des fois ça reste bloqué comme ça pendant super longtemps et puis un jour bah j’ai un déclic et je sais exactement je que je dois faire pour avancer mon truc.
Ah ouais tu es un vrai artiste toi.
Je dis ça parce que j’aperçois mon reflet dans la vitre de mon van, je suis là plantée toute sérieuse j’ai l’air de je ne sais pas trop quoi dans ma doudoune en tout cas j’ai pas trop une tête d’artiste, à vrai dire j’ai pas trop un style de thésarde non plus si tant est qu’il y en ait un, j’ai pas trop l’air de rien en fait et aucun style ça c’est certain, mais pour une fois je me trouve pas trop mal, mes petites mèches blondes au vent et mon air reposé. Du coup pendant que Nico-Caillou parle de ses trouvailles je regarde parfois à la dérobée cette image de moi collée à la vitre comme une énigme sans réponse. Mais j’ai un peu moins peur.
Un vrai artiste j’sais pas il fait. Tu as un site j’irai voir ! C’est quoi ton nom aliceT…rsnl.. ?
Je vais le changer je dis. Ça va être Explorartiste. Je trouve que c’est mieux. Comme je vadrouille pas mal dans mon hôtel mille étoiles, c’est bien. Allez, je rentre.
Ah oui C’est joli ! Bon, prends soin de toi Alice-Nuage.
À prochaine, Nico-Caillou. Prends soin de toi.
Je souris de nos noms d’artistes ou d’indiens. C’est beau ça nous laisse comme des enfants, quand tout est possible depuis le tipi dans la chambre ou la tente ou la cabane dans le jardin, et ça fait un bien fou. J’aime bien, Alice-Nuage.
C’est doux et fondant. Je préfère cette partie-là de moi.
Et Explorartiste, c’est bien comme métier, ça n’existe peut-être pas dans les listes officielles mais ça fait sensible et aventurier, et peut-être que c’est ce que j’assume le plus, en ce moment ?
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