Je suis assise au 67, d’une rue qui n’existe pas.
Il y avait de la lumière sur le chemin, celle qui fait du bien en fin de journée. Il n’y a pas d’autre raison particulière à ma présence ici, au 67 d’une rue qui n’existe pas, seulement l’inquiétude pressante de ma tante parce que Il faut te ressaisir et aller te promener Ça te ferait du bien d’aller marcher Tu devrais y aller te promener, ma chou.
Je crois que j’ai pris mon temps pour choisir de mettre mes chaussures, je crois que j’ai aimé attendre un peu avant de dire à mon chien que Oui on va aller marcher histoire de marcher, histoire de sentir l’air frôler chaque cellule de la peau de mon visage – ce que je sais évidemment faire sans bouger – et me faire revenir à la vie un peu. J’avais franchement pas envie.
Je me suis dit Tous ces mots qui se bousculent dans ma gorge et qui me font mal à la tête, eux sans doute que ça leur fera du bien de marcher, de ne rien faire d’autre que marcher. Leurs bousculades me filent la migraine et honnêtement je suis trop fatiguée pour tenter de les discipliner.
Me voilà au 67 de la rue qui n’existe pas, c’est une belle ferme landaise et j’y suis parce que j’ai dévié dès le début de mon itinéraire.
Il faut me comprendre. Je ne ferai pas une longue balade, je n’irai pas au bout du chemin, c’est même pas digne sans doute du mot balade cette sortie. Ce n’est pas important. Les herbes avaient ce côté sauvage du printemps, et la lumière était là, à ce moment-là, j’ai encore choisi la lumière et il n’y a rien à regretter.
À vrai dire je pense sincèrement qu’on ne choisit pas la lumière. Simplement elle est là, juste sous nos yeux. Ce n’est sans doute pas que les choses ont fondamentalement changé. Nous avons simplement compris ce que certaines personnes vous ont dit il y a des années de ça et nous avons enfin vu.
La lumière était là donc, sous mes yeux. Je le savais et je l’ai toujours su ne me demandez pas. D’ailleurs, plus on cherche des explications, moins on est proche de trouver des réponses satisfaisantes dans la durée, il me semble. Marathon infini et absurde, vouloir des réponses précises à des choses par nature mouvantes. Et pourtant on ne peut pas s’en passer, on est des êtres doués de raison après tout, tout doit donc avoir une raison. Avec une raison il y a un sens et s’il y a un sens alors il y a une direction et on n’est pas fous, non, on a simplement choisi de se faire confiance et ça, ça a du sens. Si on ne comprend plus rien c’est qu’il y a un sens mais qu’on pense dans la mauvaise direction ? Ou qu’il n’y a rien à penser. Une très bonne raison n’a parfois aucun sens pour nous, c’est là le mystère. Autant cesser d’errer. Autant vivre comme on peut, en vagabondant de mystère en mystère.
Le 67 de la rue qui n’existe pas a quelque chose des rendez-vous improbables, sans heure et sans lieu. Seulement à ce moment il y avait cette douceur dans l’air et j’ai trouvé que ça suffisait largement.
J’ai pris quelques photos et j’ai pensé à Arnaudin. À lui, à mon gascon qui hiverne le temps que les mots reprennent de la couleur. Il aurait ricané, moi et mon appareil du bout du monde, ma gestion complètement approximative de l’exposition – oui, la lumière ça s’apprivoise.
Le 67 rue inconnue a été squatté. J’aime cette idée d’accueillir des nouvelles vies dans des lieux en sommeil.
Mon chien explore soigneusement les proches environs, il a cette manière de renifler par à-coups puis de souffler un peu bruyamment pour me signifier que peut-être quelque chose pourrait m’intéresser. Puis, il vient s’asseoir à côté de moi, jamais trop proche, mais toujours là. Dans ces moments précis, quand il a fini son check-up, il ne dit plus rien. On écoute les voitures on écrit assise à même le sol au milieu des herbes sauvages du printemps et des feuilles d’automne.
Voilà il n’y a pas d’heure et il n’y a pas de rendez-vous, seulement je suis assise là où le soleil perce à travers les feuilles et arrive comme une caresse sur mon cou. Je regarde seulement Gous qui s’assoupit tranquillement dans son tapis d’herbe et je pense à ta question Est-ce que tu t’ennuies ?
L’ennui c’est une question de ne pas savoir comment occuper son temps. Je ne m’ennuie pas j’ai dit. Je suis extrêmement occupée à ne rien faire, parce que c’est exactement l’inverse de ce que j’ai toujours fait, et je ne m’en veux plus du tout pour ça. J’ai sans doute trop fait, tout trop fait pour en arriver là, je me retrouve à mon goût un peu trop vite complètement nulle part, à ce moment précis où je ne possède rien d’autre que ces rendez-vous, quelques trucs matériels sans grande importance, un van. Mon chien m’accompagne fidèlement dans le désert.
Je suis juste au 67 de la rue qui n’existe pas, et pour l’instant j’apprivoise le temps, je cueille la lumière quand je la vois, je promène mes mots je les emmène en balade, parce que c’est probablement ce qu’on est venus faire avec Gous ; je ne sais pas, je ne cherche pas à savoir et ça va quand même bien mieux depuis.
Je ne m’ennuie pas. J’ai arrêté de m’ennuyer il y a très longtemps. C’est du gâchis. Il n’y a pas de temps pour ça. La vie donne des moments de lumière, parfois, quand je les vois je les vis avec joie et je les partage du mieux que je peux avec ceux qui sont aussi présents à ces rendez-vous. Il y a bien trop de nuits sans étoiles, sinon.