Je n’ai plus envie de publier, ces derniers temps. Nulle part. J’ai bien écrit, scolairement, un petit quelque chose sous une photo, comme je m’étais dis que je le ferais. Mais au moment de relire, non. Tout cet espace virtuel illimité, dans lequel on est absolument libres de verser n’importe quoi, ça me donne le tournis. À la fois j’ai cette envie de partager des histoires, à la fois, j’ai envie que le monde se taise (moi y compris) et qu’on s’écoute penser au lieu de parler trop mal et d’écrire trop vite.
Et puis il y a cette fracture entre le fait de faire les choses pour soi-même, parce que c’est comme un pacte qu’on fait, un projet qu’on mène à terme, et que vers la fin, on sature, mais qu’une fois abouti, on est quand même contents. Cette petite satisfaction d’avoir tenu la barre dans l’océan des doutes déchaînés. Et l’autre côté de la pièce, le verso de la feuille, écrire publiquement des choses qui demeurent silencieuses, qui ne résonnent pour personne. Même si au départ, c’est plutôt pour soi, au final, on donne de soi, l’attente de réaction se créée et puis avec vient la déception de ne pas être écoutée – ou alors, n’avoir personne avec qui échanger. Moi qui suis dans la « vraie vie » attentive aux moindres pli sur le visage, à l’affût de la moindre réaction physique, je trouve très dur de continuer à partager dans le silence.
Sans doute que cette liberté enivrante d’avoir le même droit que n’importe qui ou tout le monde d’écrire de penser et d’oser partager noie dans la masse les messages qu’on essaye, tous, d’envoyer ? Sans doute qu’il n’y a finalement pas de place pour tout le monde, dans ce monde virtuel, et qu’effectivement, quand on n’est pas ce que les autres veulent voir, qu’on ne fait pas ce qu’il faudrait faire pour que les autres nous prêtent attention, qu’on n’est pas prêts à changer notre manière de faire, non pas par manque d’humilité, mais parce que ça laisserait sinon un goût d’infini inachevé — et que c’est ça le plus important, finalement, aller au bout de soi-même, des choses, puis douter, recommencer, écouter si on nous parle — on n’existe pas vraiment. Nos mots résonnent dans un vide étrange, empli de choses étranges.
Il y a tout ça, puis il y a la vie. Celle où il faut se battre contre ses propres instincts, ses envies, et se dire qu’on passe certainement à côté d’une chance ou d’une rencontre, si on ne fonce pas au galop avec le groupe dans une direction qu’on nous indique, avec « bienveillance », toujours, mais sans vrai respect de l’individu.
Je suis fatiguée et pourtant j’ai envie de continuer à choisir pour moi-même.
Je n’ai plus envie d’avoir à me justifier pour ce que j’ai envie de faire, d’être, de devenir, les directions que je prends, les chemins que j’emprunte. Je ne veux pas tricher avec tout ce que j’ai donné de temps, d’énergie, de conséquences, je ne veux pas me vendre comme je ne suis pas. Je suis lasse de devoir me réinventer une histoire pour les autres à chaque nouveau carrefour. Laissez-moi au moins essayer de fleurir telle que je m’espère.
Aujourd’hui j’ai cette sensation, cette vision d’un moment vécu en montagne, où à quelques mètres de moi, plus de la moitié d’un troupeau de brebis a sauté toutes pattes en l’air dans un ravin, parce qu’on randonneur voulait une photo d’un agneau, cet abruti. Spectacle désolant, incroyable force du groupe. J’essaye de continuer à assumer mes choix, mais en fait, j’en sais rien, si je fais bien.