Dans mon carnet papier velours Moleskine je laisse les mots danser comme ils veulent. C’est un peu naïf, vous verrez, ce sont mes histoires à propos de lumière.
Je me balade ou j’entame une balade et elle s’arrête d’elle-même en chemin, je m’assieds et je ne bouge pas, je fais des photos avec mon appareil instantané et j’écris ou je ne fais rien. Ça donne un sacré style j’avoue, cet appareil presque vintage mon moleskine mon chien et moi en balade ou absorbés dans le paysage, dommage que je ne sois pas si distinguée moi-même.
Je dessine des fois je n’ai pas envie d’autre chose. Les traits parlent autant que les mots vous savez. Ils disent parfois mieux les silences et ils balisent les chagrins.
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Les gens ont la fâcheuse tendance à trouver que les mots sont difficiles à apprivoiser. Forcément, ils ne diront jamais pleinement ce que vous pensez. Comment le pourraient-ils ? Les idées passent le temps de la synapse et encore après ça encore faut-il aller fouiller dans le cerveau voyons si on trouve les sons puis les harmoniser en syllabes et encore faire des mots sans se tromper dans l’ordre puis en sortir éventuellement des phrases qui seraient belles légères poétiques habiles intelligentes bienveillantes drôles uniques en plus d’être justes. Au secours. Et quand on parle plusieurs langues je vous raconte pas le bazar. Les mots sont de la musique la musique est de la mathématique la mathématique est de la poétique la poétique est de la rhétorique, alors imaginez plein de musiques en même temps…
Le pouvoir des mots c’est quand même incroyable. On peut dire avec une extrême précision exactement le contraire de ce qu’on pense. On peut aussi essayer de les apprivoiser quand on a envie de dire ce qu’on pense. C’est très difficile et je crois que ça demande beaucoup de courage. J’avais écrit dompter mais ce ne serait pas juste. On ne dompte pas les mots, on danse avec. On sait qu’ils ne seront jamais parfaitement éternellement justes, qu’on n’a jamais fini d’explorer les mondes uniques que les mots esquissent dans leur langue et tant mieux. Ou alors ils sont très justes puis ils ne le sont plus. En même temps c’est bien trop vaniteux de se dire qu’on écrirait des choses belles et éternelles.
Bon on fait quoi alors ? On ne dit plus rien ? Courage, fuyons, on hésite longtemps puis on se ravise ? Je choisis encore une fois de sauter dans le vide. C’est comme ça. Le vide m’a toujours viscéralement appelée. La vie m’a toujours doucement rattrapée Hop là ne pars pas si vite tu ne comprends pas ce que tu fais là ne cherche pas tout le temps laisse-toi vivre il y a forcément quelque chose pour toi quelque part. Tu ne peux pas voir là tout de suite mais tu le sauras quand tu y seras. C’est ces moments que j’ai voulu écrire. C’est pour dire Merci.
Je saute dans le vide à répétition sans savoir quand je saurai que j’y suis, il n’y a que comme ça que ça marche. J’essaye quand même de chorégraphier une partition de mots douce ou de chanter une danse déchirante. Je me récite les mots qui me viennent quand je marche ; une fois les sons sortis de ma bouche ils s’évaporent dans l’air et ils ne sont plus rien que de l’air des fois c’est bien comme ça. Je laisse les mots s’écrire dans l’air autour de moi et on verra ça plus tard s’ils veulent être ancrés quelque part et comment.
Je crois que des fois on écrit aussi parce qu’on a envie que ces mots restent un peu, pour qu’ils deviennent des vrais moments sur lesquels on peut revenir rêver très librement ; parce qu’ils portent sans doute une vérité ou de la beauté qu’on n’a pas envie de dissoudre si vite, parce que trouver du Vrai et du Beau ça prend du temps beaucoup et de la souffrance beaucoup.
On essaye de faire danser les mots parce qu’on a envie de prendre du temps pour écouter nos propres vérités et regarder bien en face nos douleurs, elles hurlent si fort et elles sont si difficiles à entendre parfois pour les pauvres sourds obstinés que nous pouvons être. Ou alors on n’a pas du tout envie d’entendre des vérités mais du temps on en a ou plus tant que ça finalement et on en a un peu marre d’être dans la souffrance disons-le clairement et puis est tellement pris dans la douleur qu’on ne peut plus reculer parfois. Alors on saute dans le vide en espérant quelque part que la vie nous rattrapera. On tombe hier encore et demain encore et puis un jour quelque chose ou quelqu’un nous arrête dans le tournis de la chute et nous offre le vertige de la lumière juste assez pour ne plus avoir trop mal un moment et chercher sans relâche à remonter quelque part où il fait jour pour faire la paix avec la nuit. Ces moments de calme silencieux entre chien et loup, l’heure bleue, De tout un peu, comme disait Mamé, il paraît.
Ça prend du temps de décider à écrire ces choses si intimes parce que ça vient comme ça et des fois il faut des jours et des jours pour que la danse soit écoutable pour soi-même et que la musique soit belle à voir ou aussi parce que mettre de la pommade sur des blessures à vif c’est un peu douloureux aussi ; et surtout, je pense qu’il faut apprendre à digérer pour ne pas vomir trop vite les mots. Ils sont si délicats. Les vomir ce serait un peu comme cueillir à la hâte une fleur qu’on trouve si épanouie dans les rayons du soleil, uniquement pour posséder un peu cette grâce ; et en faisant cela on arrache à la fleur son immense délicatesse et on perd à ce moment ce qu’on a le plus aimé.
On danse les mots on les jette en vrac sans ponctuation ils se ponctuent tout seuls ou on les pose on respire un grand coup et on s’en fout, allez presque, on le fait d’abord pour soi. Ensuite on partage, si on ose. Et des fois, les gens qui lisent sont un peu plus calmes, un peu plus heureux peut-être, pas grand-chose, juste une ou deux minutes ils rêvent de leurs propres vérités avec vos photos et vos mots et c’est magnifique de voir que la douleur qui me pousse à écrire la lumière en mots ou en photos illumine à sa faible mesure les autres. Un tout petit peu c’est déjà beaucoup.
Ne m’en voulez pas, ces histoires-là sont écrites autant pour moi que pour vous. J’ai été si profondément heureuse – comme jamais je ne l’ai été – et si profondément déchirée – comme jamais je ne l’ai été – en même temps ces derniers mois. J’ai eu besoin de rappeler à moi tous ces moments où le vide m’appelait si fort que j’ai voulu m’y noyer m’y fracasser et même ne pas en revenir, je n’ai plus peur de le dire. Pour ne pas douter qu’il y a toujours, toujours, eu une rencontre pour me rappeler de sourire de rire et de vivre.
C’est un peu très triste dit comme ça, je le sais ; mais ce n’est pas que triste. Ne soyez pas tristes pour moi. Ma Maman me demandait toujours petite Pourquoi tu es si triste ? j’avais souvent la tête appuyée contre une fenêtre ou entre mes bras et je regardais le paysage et toute cette souffrance défiler sans comprendre vraiment. Je n’ai pas encore le courage de vous donner un début de réponse, mais je sais en partie pourquoi maintenant. Il y a quelques mois tout a commencé à faire sens. J’ai été et je suis si triste et comme ça j’ai compris la beauté du monde. Je ne suis pas du tout triste en écrivant ces derniers mots, au contraire.
Ce n’est pas si grave la tristesse infinie. Mélancolie c’est un si joli mot, presque un nom de fleur. C’est tout un monde qui ne demande qu’à être illuminé. Peut-être que vous aviez compris ça, en regardant toutes mes photos ? Si non ce n’est pas grave, ça dit la lumière avant tout, la photo, c’est la condition sine qua non. Et puis je connais par coeur les mots du Petit Prince depuis la première fois que je les ai lus, je me rappelle les prières que j’adressais à je ne sais pas trop qui et quelques vers de poème, quelques lectures ou quelques regards, des mots d’amour si beaux qu’on m’a écrits ; je sais qu’il y a toujours de la lumière quelque part. Si vous la rêvez, elle vient à vous.
Quelle joie de faire toutes ces rencontres, humaines ou non d’ailleurs, et de s’y trouver un peu plus à chaque fois.