(Sans oublier Gabi, Nicole, bien sûr, et Olga.)
La vie est faite de moments incroyables, du genre de ceux que même si on voulait les imaginer, en vrai c’est beaucoup mieux.
Il y a quelque chose d’une symphonie incroyablement bien orchestrée et interprétée, quand tous les hasards (si on persiste à y croire) s’accordent et qu’il y a ce petit silence juste avant, celui de se concentrer, de prendre ce qu’il suffit d’air et de suspendre comme ça le moment. Le chef initie le mouvement et alors les notes sculptent le silence et le rêve devient réalité.
Quand j’entends le message de Richard sur mon répondeur, il y a d’abord ce petit silence. Il y a ce nom de famille, unique parmi tous, qui résonne particulièrement pour moi, qu’il articule pourtant distinctement, et l’invitation lancée comme ça, On ne se connaît pas, mais j’ai vu le reportage et je pense qu’il faut se rencontrer, alors bienvenue quand vous voulez au Château Arnaudin, à Laboueyre. Les chiens sont bienvenus, s’ils veulent.
J’arrive très timidement au château Arnaudin à Laboueyre au début du mois de mai. Certaines invitations anodines sont des vrais rendez-vous, de l’ordre des choses, du destin peut-être, ou même probablement. Je me gare à côté de l’atelier, pas loin de la cuisine, et c’est Richard qui m’accueille. Notre timidité réciproque s’évanouit quand Gabi et sa gouaille contagieuse s’exclament Ah mais la voilà ! Alice Trai-s-nel La photographe ! On est drôlement contents de te rencontrer ! Allez viens t’asseoir, tu sais que Richard il a tondu le parc pour ton arrivée ? Il a mis deux jours.
Je rougis. Je suis accueillie comme une princesse. Richard a été ramasser des arums pour fleurir ma chambre. Tu es chez toi, il me dit. Assise dans le parc, je me sens chez moi. Je marche pieds nus dans l’herbe. Je n’ai rien d’autre à faire que d’être là. C’était un cadeau magnifique.
Le parc du château Arnaudin est peuplé d’histoires, de destins croisés et d’arbres magnifiques. On s’installe tous les trois avec Gabi et Richard sur la petite table du jardin, et je pense qu’à ce moment déjà, nos retrouvailles étaient actées, parce qu’après, pendant trois jours, on parlé de tout comme si on s’était toujours connus, et on a surtout tellement ri. Je n’ai pas souvenir d’avoir autant ri à un autre moment de cette période, rire avec tout son coeur à en avoir des crampes, d’avoir aussi un peu pleuré, d’avoir si profondément partagé. Je garde des souvenirs intacts de la cuisine, du feu dans la cheminée, du téléphone qui sonne, de la lumière sur les fauteuils, d’Olga sur les marches, du goût des petits déjeuners et de l’odeur des cigarettes.
Au fond de moi, je remercie Félix de nous avoir réunis.
Je l’appelle Félix ; Félix Arnaudin c’est Quelqu’un comme dirait mon ami Juju, mais c’est aussi comme un vieil ami, parce qu’il y a quelque chose de son existence qui m’est très familier, que je comprends au fond de moi sans savoir vraiment comment. Quelque chose du romantisme des paysages, de l’infinie grandeur, du rêve qui s’échoue mais qu’on continue à dire pour qu’il ne s’évapore pas le matin venu.
Quelque chose de cette vie à écouter celle des autres, des moments à pousser le vélo ou à porter le sac à dos dans des paysages déjà métamorphosés mais dont on entend murmurer les fantômes, à rêvasser dans l’herbe et à écrire l’urgence de ce qui meurt en prenant tout son temps, toute sa vie, toute sa fortune s’il faut…
Et puis la photo.
Richard me raconte sa vie et au fond de moi, me redonne le goût de croire en ses rêves. Le courage d’être justement soi, simplement soi. De passer du rire aux larmes sans trop savoir si on rit parce que notre réalité est parfois si dure, si on pleure parce que notre vie est parfois si belle. De rire de nous surtout. De nos prétentions et de nos secrets.
Gabi ensoleille nos journées. Olga m’enseigne à sa manière le repos des princesses.
Nicole a l’air sévère, c’est une châtelaine après tout, mais elle m’a beaucoup émue.
Ça faisait longtemps que je voulais écrire notre rencontre. Elle m’a bouleversée. Il n’y a pas longtemps, je me suis rendue compte que j’avais perdu toutes mes photos numériques, celles des arbres du parc Arnaudin et celles des endroits très magiques des Landes, camouflés près de décharges à ciel ouvert et de routes très bruyantes.
Richard m’emmène voir les anciens points d’eau, on retrouve des ruines au milieu des pins et des maïs. J’avais fait son portrait là-bas, il s’était accroupi là où Félix avait posé sa chambre, et j’aurais aimé vous le partager, j’ai pleuré d’avoir perdu ces moments. Mais, comme la vie fait bien les choses, j’ai beaucoup photographié avec mon appareil instantané, celui qui ressemble en miniature à la chambre de Félix, c’est pour ça que je l’avais acheté d’ailleurs. Celui qui me fait hésiter avant de déclencher, et qui me fait dire, ce moment, il est particulier…