Rat des villes & rat des champs
Ah la vie à la campagne. Il y aurait de quoi en faire des tonnes.
Pour les rats des villes, soit c’est d’un ennui mortel, impossible d’aller au ciné sans se taper des heures de route, impossible de manger des falafels comme ça, parce qu’on a une envie pressante de pois chiche – à moins d’en avoir acheté en supermarché, et franchement, ça casse vraiment le mythe, d’acheter du Libanais à Super U. En plus c’est vraiment pas bon.
Ou alors, on a conscience d’étouffer dans la fébrilité des fourmilières, on se dit Quand même la campagne ça coûte moins cher le m², de toute façon je passe au moins autant de temps dans les bouchons sur le périf, le grand air c’est bon pour la santé, c’est la mode, ou n’importe quoi d’autre.
Du coup, c’est du tout au tout, soit c’est on s’isole un bon coup, histoire de se remettre au rythme des vraies saisons – fruits et légumes dans le jardin, pas la peine de se presser, c’est nous qu’on l’a fait, quelle fierté de voir des fruits difformes sur la table ! La nature fait comme ça lui chante, on apprend la patience et à remettre ses pendules à l’heure solaire (dur l’hiver!) ; même, on regarde la lune parce qu’on sait jamais si ça y fait, de planter plutôt tel ou tel jour (ce que je retiens, c’est que si on veut manger des légumes du jardin, éviter les nœuds lunaires et le périgée). Les vieux ricanent quand on leur en parle, mais ça ne les empêche pas quand même de regarder.
Soit on reste décemment en banlieue, dans des pavillons sans âme et bâtis à la hâte, sans style aucun, mais, mais, c’est quand même bien, y’a un club de sport, le ciné pas trop loin, des falafels à la biocoop de banlieue, une pizzéria et les gamins feront du vélo sur la route goudronnée en bas.
La plupart, on a une sorte de conscience de l’environnement, un peu diffuse, un peu confuse, parce qu’après tout, on sait pas ce que ça veut dire dans la vraie vie. Mais on a entendu au 20h que le changement de climat c’est pas des blagues, y’a des tsunamis et tout.
En tout cas, rats des villes, on arrive à la campagne la fleur au fusil, on adore les grands espaces et miracle il n’y a pas de ni de pigeons ni de bruit d’ambulance ni de bruit d’avions. On apprivoise les courses avec des tonnes de surgelés (mais on essaye de prendre des trucs éco-bio-responsables si on y arrive), et puis si on a oublié un truc, ben tant pis, on n’oubliera pas la prochaine fois. On déculpabilise de prendre la voiture pour aller chercher du pain – on en profite pour faire d’autres choses.
On essaye de se dire que si l’homme n’a pas encore tout gâché avec son ego surdimensionné et sa boulimie destructrice, on peut chacun dans son coin faire un tout petit rien, au quotidien. Dans les moments de lyrisme, on se dit Un tout petit rien fois des millions de gens, ça finit bien par faire quelque chose, non ?
Puis on se promène, on se régale de nature, on s’enivre de grand air. Et puis on rencontre le monde paysan. La vraie vie paysanne. Et là, tout est complexe. Non les paysans ne bouffent pas bio, ils s’en foutent, ils ont un jardin. C’est quoi bio d’abord ? Bon, ils mettent du détergeant pour ne pas que les insectes se régalent avant eux (véridique, de l’eau de javel pour ne pas nommer…!!!), mais au moins, ils mangent local et de saison. Ils cultivent soigneusement leur jardin, pas un sillon de travers, et avec le dernier motoculteur s’il vous plaît. Elles ont fière allure, les rangées de choux et de poireaux. Mais après, ils s’en foutent de balancer les vieux frigos dans les ronces – au bout d’un moment, on les voit plus. Du coup, ils rajoutent les baignoires, des voitures, des fringues et leur paquet de clopes. Moi, ça m’attire les tas de ronces, au début, je croyais que j’allais trouver des ruines.
Au diable les préjugés, bonjour les paradoxes. Heureusement qu’on peut pas faire de généralités non plus.
Après quelques mois, quelques fleurs poussent dessus. Les animaux en font leur tanière, et franchement, au delà de l’image absurde que ça fait, c’est trop mignon de voir un nid dans une vieille casserole au milieu d’un champ.
Il y a certains jours où vraiment, ces paradoxes m’énervent – je n’ai pas de solution pourtant. Au fond, c’est quoi le moins pire ? Quelle est la bonne mesure ? À qui de faire des efforts ? À qui de faire de la pédagogie ?
En tout cas, en tant que photographe, j’ai une sorte de fascination pour ces décharges à ciel ouvert. Ça me désole, ça me répugne, il y a de quoi je crois. Et en même temps, j’ai une sorte de petite joie à chaque ronce, à chaque lierre, à chaque touche de vert sur les mikas, plastiques, céramiques, déchets toxiques. Et je ramasse les déchets de Mc Do qui souillent les chemins, ça m’exaspère. Même au fin fond de la campagne… Devant des paysages si beaux, ça frise l’indécence.
Chers habitants du Lauragais – ou d’ailleurs-, mangez Mc Do si ça vous chante, mais svp, ne balancez pas les déchets par la fenêtre. Quant aux baignoires et au reste… je ne sais pas quoi dire. C’est quand même triste. Et mon chien n’aime même pas les vieilles frites. Les blaireaux non plus, sinon je ne les verrai pas. Merci.
infos : Sony A7ii + FE24-240, 166mm, ISO 16000, f/6,3, 1/8000s.