Lignes de fuite
Ceux qui me suivent sur Instagram (ou sur la page Haikus) savent qu’en ce moment, j’essaye de percevoir le paysage autrement qu’en éléments. Je ne sais pas trop comment ça m’est venu, sans doute que c’est les lumières d’automne – ou le manque de lumière, je ne sais pas comment expliquer – en tout cas, en ce moment, lors de mes promenades, je prends bien moins souvent en photo les chiens ou animaux ou fleurs ou arbres que les lignes, courbes, reliefs, en fonction de ce que j’arrive à voir.
Je fais déjà un travail sur les tonalités d’images, les couleurs, ce qui n’est pas une mince affaire. Je publie trois photos de chaque série, et ce haïku se construit autant sur le moment qu’après, lorsque je cherche le bon ordre visuel. L’idée, c’est de voir les trois photos comme un ensemble, l’une résonne avec l’autre, la troisième bouleverse le tout ou complète l’histoire.
Cette manière de ne plus regarder les éléments comme tels, ça m’aide à m’évader et ça force la créativité. À la fois, il y a cette concentration à chaque cadrage que je choisis, mais il y a aussi l’idée derrière que, à force de regarder toujours les mêmes arbres, toujours les mêmes routes, toujours les mêmes fleurs, toujours les mêmes saisons, je ne cherche plus à les voir comme tel.
Ce qui a changé, c’est que j’habite un pays qui s’y prête. Les collines, les immensités cultivées ou non, les Pyrénées, les blocs de terre argileuse qui s’agglutinent sous les chaussures quand il pleut, la brume ou non, les nuages ou pas, la lumière ou non.
Pour tout dire, j’ai eu un moment de grande frustration, cultivé bien évidemment par les photos des autres à la plage ou je ne sais où ailleurs, ou les newsletters de photojournalisme que je reçois avec des reportages magnifiques. Parfois j’ai envie de quitter ma quiétude, mes longues marches solitaires. Et puis il y a eu un documentaire sur Pierre Soulages. Et là, c’est le déclic. J’ai beaucoup d’admiration pour sa connaissance fine des matières, textures, son sens des formes, son esthétisme particulier et surtout, surtout, la grande liberté qu’il laisse la lumière, comme si elle choisissait d’éclairer son travail d’une manière ou d’une autre, et qu’à chaque changement, la même œuvre renaissait des cendres de la précédente.
En photo, on ne peut pas travailler sur le rendu physique. En imprimant, la photo reste plane, la lumière fixe.
Alors, au travail. J’expérimente d’abord en ne changeant pas les réglages habituels de mon appareil photo. Et puis, petit à petit, je pars en promenade avec une focale fixe, pour laquelle je me fixe une ouverture pour toute la balade, une autre, et je bascule les paramètres en bousculant mes repères. Ça fait des choses assez abstraites, ça change d’une réalité qu’on est forcés de voir. C’est ce dont j’ai besoin. Ça fait des photos comme celle de la semaine dernière.
La photo ici, c’est le début de l’expérimentation, début octobre. Les conditions de lumière sont bonnes, tous les reliefs se détachent les uns des autres, comme une aquarelle où l’on serait repassé plusieurs fois pour créer ces lignes. Je trouve plus difficile de chercher des lignes que des textures, mais, finalement, selon les conditions de lumières, ça aide. Ce n’est pas tous les jours que les montagnes se détachent comme ça de l’horizon.
J’ai gardé les couleurs, j’aime bien ce bleu pastel et la touche de vert des arbres.
Vous pourrez me dire, oui mais au développement. Je ne développe rien. Les images sortent brutes du capteur, comme je le fais la plupart du temps, parce que je ne veux pas changer la réalité que j’ai créée au moment de capturer l’instant.
infos : Sony A7ii + FE 24-240, 240mm, f/9, ISO 100, 1/500s.