À propos de Légèreté
Je ressors chamboulée d’une journée de stage. Rien à voir avec la photo, ou plutôt si, en tout cas, ça a tout à voir avec se poser, observer, réfléchir, agir.
J’ai toujours aimé les chevaux, m’en occuper, les regarder. Lorsque je montais à cheval, après quelques années, j’ai appris à aimer cette sensation et la remise en question permanente : une semaine, un cheval, c’est pas rien. Lorsqu’après un cours, on est au moins en partie satisfait de ce qu’on a pu réaliser, la semaine d’après, tout a changé. Être un bon cavalier pour moi signifie accepter de recommencer encore et encore, accepter ses ignorances. L’équitation – à fortiori le dressage – demande une rigueur et une humilité qui m’ont toujours parlé.
Les années passent et le cheval est en pointillés. Quand je déménage à Toulouse, je fais la tournée des clubs, école de vétos, hippodrome même, croyant naïvement pouvoir m’offrir quelques heures. Le choc est grand, les chevaux sont amorphes, regard vide, dos creux et reins pelés. Dans le pire des cas, ils restent sellés toute la journée en attendant leurs cavaliers. Je trouve inacceptable de cautionner cet état. Comment pourrais-je trouver du plaisir à monter un cheval qui n’est pas bien ? Puis ce milieu de tous les excès, ça me dépasse.
Mes amis Tifenn & Anatoly m’ont parlé de cette manière de monter à cheval, de faire du dressage, sur le principe de Légèreté, j’ai eu droit à quelques initiations – et là, découverte, ça fait sens : je m’inscris comme auditeur pour une journée en stage d’École de Légèreté.
Quand je dis ça fait sens : je comprends les années de questionnements, de recherche, de tâtonnements, de rigueur, de courage aussi pour mettre au point cette méthode. Philippe Karl dit que « La légèreté n’est pas une déclaration d’intention à caractère poétique ou ésotérique, mais un concept équestre efficace et mesurable. Elle exclut tout recours à la force ou à des artifices coercitifs (enrênements, muserolles serrées…), mais n’écarte aucun type de cheval et s’intéresse à toutes les disciplines équestres. » Il faut les aimer, les chevaux, pour penser comme ça.
Après une journée de stage et après avoir rencontré Philippe Karl, je comprends qu’il ne peut pas être question de poésie ou d’ésotérisme. Sinon, où est la caution scientifique sans quoi sa philosophie ne serait pas entièrement défendable ?
J’y vois quand même de la poésie, du moins, de la douceur. Je trouve qu’on a tout à fait le droit d’être scientifiquement indiscutable et poète. N’y a-t-il pas une certaine forme de douceur et de respect dans le principe même de « n’écarter aucun type de cheval »? Je ne peux m’empêcher de faire des parallèles avec les hommes, les alternatives forcées, les malcompris ou malentendus, ceux qui campent sur les talveras*.
Je vois les tentatives menées avec force pour changer les normes, les codes, les manières de faire et de penser – ou la facilité des conformismes évidemment absurdes. Ce n’est pas de la poésie, de croire qu’on peut amener des choses plus justes dans ce milieu ? Alors oui, on rêve d’un monde où l’homme respecterait son cheval – pour le respecter, il faut le connaître, pour le connaître, il faut prendre le temps de l’observer, et pour savoir observer, il faut apprendre, et pour apprendre, il faut se connaître, pour avoir envie de se connaître, il faut se respecter…
À mon sens, ce que Philippe Karl fait avec ses élèves, c’est autant apprendre à monter respectueusement leur cheval que de leur donner une porte vers la remise en question et le respect d’eux-même à travers leur manière de monter à cheval. Ou inversement. Il m’a semblé que parmi les auditeurs et élèves instructeurs, chacun a entamé ou suit un chemin de remise en question, de sincérité et de respect, de recherche d’éthique personnelle et a envie de le mettre à disposition du cheval. Oui, Philippe, vous avez raison, ethnologiquement parlant il y a vraiment de quoi étudier la Tribu des Mains Hautes.
Ce qui est indiscutable, c’est la mise en pratique de la philosophie. Pendant la journée se suivent dans la carrière des chevaux ronds, carrés, rectangles, triangles (je ne suis pas zootechnicienne, ça se voit!)… Et tous évoluent sans problème, même avec une grâce certaine insoupçonnable chez les chevaux-triangles. C’est quelque chose, de voir un trotteur se mouvoir souplement et avec de belles allures.
Philippe Karl a sans douté gardé quelque chose du médecin : chaque passage commence par l’écoute d’un diagnostic du cavalier sur le travail accompli, les éventuels problèmes ou questionnements. Puis il observe, parfois, il note, se tait, parfois, il rejoint le cheval dans la carrière et il suggère tel exercice, ou tel autre, dans tel ordre, comme un dosage savant. Chaque couple est accompagné sur-mesure. Un luxe banalisé et nécessaire, si l’on en croit les exclamations des autres « Incroyable le changement depuis la dernière fois », et les commentaires laconiques mais précieux « C’est bien, c’est bien ». À aucun moment il n’y a eu de la condescendance, de la complaisance, je n’ai vu que de l’observation sans jugement. Il n’y a pas de dimension de soignant-soigné, plutôt de la mise à disposition de savoir selon les besoins. C’est d’une grande noblesse et générosité, et en même temps, lucide et pratique.
Ce que j’ai vu, pendant cette journée, c’est un homme intelligent, passionné qui a la force d’assumer ses convictions, de les défendre avec assurance et tranquillité peu importe à quel point les provocations sont effrontées ; et que ça amuse presque de devoir répéter encore et encore les fondamentaux…
Belle leçon de vie.
Bientôt, le reportage photo complet…
D’ailleurs, en parlant photo, ce stage a été une belle occasion de se confronter aux difficultés de faire des photos dans des conditions lumineuses difficiles, d’autant plus quand on photographie des sujets en mouvement. J’ai choisi de délaisser mon appareil de reportage classique pour mon premier appareil, que je connais mieux, et qui a de meilleures performances en conditions de lumière difficiles… Tout de même compliqué de conjuguer les deux, j’ai encore du boulot avant d’être pleinement satisfaite de mon travail mais contente quand même des résultats.
*Selon Bernard Eme (2015), « Bordure du champ, non labourée pour créer une marge de manœuvre, mais faisant l’objet de multiples usages par les paysans, la talvera est un vieux mot occitan »
infos : Sony A7s + FE 24-240, 240mm, ISO 12800 (dures conditions de lumière...!), f/6,3, 1/800s